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Art nouveau, Art Déco

L’Art Déco a le vent en poupe. Ses formes géométriques inspirent les designers et les architectes actuels. Ses maisons, décriées il y a encore quelques décennies, séduisent aujourd’hui les jeunes propriétaires qui les restaurent et les décorent avec cohérence. Ce style rétro entraine dans son sillage l’Art nouveau avec lequel il est souvent confondu. Ils sont pourtant bien distincts, chacun illustrant une époque énergisante, l’une belle et l’autre folle. La confusion nait peut-être de leur succession rapide et de leurs dénominations proches. Leurs philosophies sont néanmoins gémellaires à bien des égards, et cela malgré un vocabulaire esthétique spécifique.

 

Nouveau langage

Art nouveau et Art Déco naissent d’un désir profond d’originalité et d’inventivité. L’Art nouveau entend faire oublier les anciens styles et rompre avec un classicisme ennuyeux en inventant à partir de 1890 un langage décoratif aux formes inédites. L’audace de ses concepteurs sera accélérée par cette Belle Epoque pleine de promesses où apparaissent l’automobile, le métropolitain, l’électricité et le cinématographe.

 

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Europe veut croire à un nouveau monde. L’idée de reconstruction induit une rigueur de forme et une simplification ornementale. L’Art Déco va traduire cela, jusqu’à développer un nouvel art de vivre un peu fou, sur fond de cinéma hollywoodien, de voyages en paquebots et de psychanalyse.

 

Maisons de bourgeois

La première construction Art nouveau est l’Hôtel Tassel édifié par Victor Horta en 1893 pour son ami Emile Tassel, professeur à l’ULB. C’est une « maison-portrait », à l’image de son propriétaire, de ses aspirations et de ses activités. Pour répondre à la passion de son client pour le cinématographe, Horta installe une terrasse intérieure depuis laquelle ont peut visionner la projection sur une toile tendue en contrebas. Ce type d’aménagement particulier, conjugué à la richesse des décors, témoigne de l’aisance de la classe sociale pour laquelle travaille Horta. Les commanditaires de l’Art nouveau sont des lettrés et des industriels bourgeois, férus d’avant-gardisme et d’originalité.

 

Il en va de même pour les villas Art Déco dont les propriétaires fortunés sont séduits par la bouffée d’air américaine que les années 20 souffle sur l’Europe dévastée. Les intérieurs luxueux et confortables, comme celui de la maison du banquier Van Buuren, expriment la modernité d’une bourgeoisie entreprenante débarrassée des carcans et du corset d’avant-guerre. La libération des mœurs et l’hédonisme ambiant voient se multiplier les lieux de plaisir et de distraction : salles de cinéma, clubs de jazz, dancings. En 1929 est inauguré le palais des Beaux-Arts de Bruxelles, conçu par un Victor Horta évolutif, et premier centre culturel de cette ampleur. Enfin, le culte du corps et l’attrait pour la gymnastique entrainent la construction de nombreuses piscines et infrastructures sportives.

 

Gesamtkunstwerk

L’un et l’autre courant concrétisent parfaitement l’idée d’œuvre d’art totale. Ce concept esthétique issu du romantisme allemand soigne le bâtiment dans les moindres détails, pour créer un ensemble cohérent dont chaque élément est indissociable des autres. En 1911, le palais Stoclet est la création de l’architecte viennois Josef Hoffman qui en a dessiné les plans mais aussi les jardins, le mobilier, la vaisselle, l’argenterie et les lustres. Il y a fait travailler les ateliers artisanaux viennois, les « Wiener Werkstatte », et les mosaïques de la salle à manger sont signées Gustav Klimt. Cet édifice Art nouveau aux lignes géométriques est influencé par la rigueur du style Sécession Viennoise et annonce l’Art Déco.

 

Faire entrer la lumière

La modernité des deux courants réside aussi dans l’utilisation de matériaux industriels et de techniques nouvelles. L’Art nouveau utilise le verre et le fer, permettant d’ouvrir les espaces et de fluidifier la circulation. Horta fait de la cage d’escalier un puits de lumière à la structure métallique apparente, couvert d’une verrière. Cette clarté nouvelle se retrouve à l’Art Déco où chaque pièce s’ouvre vers l’extérieur. L’escalier y est aussi le centre nerveux et le béton armé permet des mouvements de façades originaux. Enfin, avec l’invention de l’électricité, les architectes imaginent des abat-jours, des appliques et des plafonniers mêlant élégamment le fer et le verre dépoli, pressé ou coloré.

 

Végétal et géométrique

Malgré tous ces points communs, le traitement décoratif des deux styles architecturaux ne peut être confondus. L’inspiration première de l’Art nouveau est le végétal dans toute sa luxuriance et sa vigueur. Horta disait même privilégier la tige à la fleur, dont la souplesse permet de figurer le mouvement. Sa signature est le célèbre « coup de fouet », motif organique aisément reconnaissable dans les ferronneries de la façade de sa maison-atelier, rue Américaine. En réaction à ces arabesques extravagantes, l’Art Déco développe à partir de 1911 des formes épurées et fonctionnelles, s’inspirant de l’art nègre et du cubisme. Ses volumes simples, ses motifs géométriques et ses angles cassés donneront naissance au Bauhaus et aux premiers meubles design.

 

 

Petit lexique

 

- Bakélite: matériau de type plastique développé en 1907 par le chimiste belge Léo Baekeland et utilisé sous de multiples formes entre 1920 et 1950: interrupteur, ventilateur, radio, téléphone, appareil photo, bijoux, boules de billard, stylo.

 

- Bow-window: terme anglais signifiant « fenêtre arquée », le bow-window apparaît avec l’Art nouveau. Il s’agit d’une baie en surplomb qui s’intègre à la façade par son plan cintré, apportant lumière et mouvement.

 

- Galuchat: cuir de poisson ou de requin utilisé depuis le VIIIe siècle en gainerie, ébénisterie et maroquinerie. Oublié au XIXe siècle, il revient à la mode dans les années 30, où son grain perlé fait fureur sur le petit mobilier, les bijoux ou les boites en tous genre.

 

- Loupe de bois: type de plaquage très prisé par les ébénistes Art Déco. Elle est issue d’une excroissance de l’arbre produite par une piqure d’insecte, une blessure ou une végétation parasite. Le développement tourmenté et capricieux des veines du bois forme alors des dessins très décoratifs. Les loupes les plus appréciées sont celles de noyer, d’orme et d’amboine.

 

- Sgraffite: de l’italien graffiare signifiant « griffer », le sgraffite est une technique de décoration murale en vogue à la période Art nouveau. Elle consiste à recouvrir d’une mince couche d’enduit clair une première couche de ton sombre. Un dessin est ensuite créé en grattant partiellement l’enduit clair encore frais pour mettre à jour l’enduit foncé sous-jacent. La couche d’enduit clair peut être colorée. Le plus bel exemple bruxellois de ce travail est la Maison Cauchie.

 

 

Les écoles 11 et 13 à Schaerbeek

Henri Jacobs (1864-1935) est un architecte scolaire dont la philosophie est de soigner l’esthétique du bâtiment pour favoriser l’apprentissage, insuffler le goût du bien et du beau et faire des élèves des hommes meilleurs. Conçues en 1907, les écoles 11 et 13 de Schaerbeek, avenue de Roodebeek, matérialisent la vision de ce disciple d’Horta et auteur d’une quinzaine d’établissements en région bruxelloise. Là poussent les tiges végétales de l’Art nouveau, de la façade en pierre blanche arborant le S stylisé de la commune aux luminaires courbés comme des branches gracieuses. Tout a été dessiné par Jacobs, et l’ensemble est rempli de détails parfois amusants. Ainsi, les escaliers aux ferronneries palmées sont équipés d’une seconde rampe, plus basse, à la taille des écoliers, alors que la rampe principale est graduée de boules pour empêcher les plus intrépides d’y glisser à califourchon.

 

Les deux préaux tiennent plus de la salle de bal que de la cour de récréation. Leurs plafonds en staff imitant la terre cuite sont veinés de lignes fluides typiques de l’Art nouveau, et leurs centres percés de vitraux jaunes. Deux grandes peintures signées Maurice Langaskens et Henri Privat-Livemont glorifient l’étude, le travail et l’éducation dans des mises en scènes champêtres et allégoriques. Privat-Livemont est aussi l’auteur des sgraffites* : les portraits en médaillon du roi Albert Ier et de la reine Elisabeth sur les murs du gymnase; la frise japonisante d’oiseaux et de nuages dans le couloir de la direction pavé de mosaïques représentant des jouets. Les larges baies, les briques polychromes et les carreaux émaillés terminent de créer un environnement lumineux et coloré, à la conception novatrice.

 

La Maison Brunfaut à Uccle

Au 85 de l’avenue Coghen à Uccle se dresse une maison de type bel-étage, construite en 1937 par l’architecte Gaston Brunfaut (1894-1974) dans le plus pur style moderniste, branche créatrice de l’entre-deux-guerres, plus fonctionnelle et moins ostentatoire que l’Art Déco. Défendu par des architectes animés par l’idée de progrès et de démocratie, le modernisme entendait créer un nouveau monde satisfaisant les besoins de la vie pratique et ceux de la sensibilité.

 

Les qualités esthétiques de la maison Brunfaut résident donc dans sa fonctionnalité et sa simplicité. Par son grand hublot, la façade aux formes géométriques évoque les paquebots. Elle rappelle les tableaux de Mondrian par le jeu des lignes rythmant les longues baies aux châssis métalliques. Les espaces sont dépouillés et confortables, baignés généreusement par la lumière. La cage d’escalier offre une circulation fluide et sa rampe ondoyante invite à la progression sans effort. La toiture-terrasse du second étage, élément spécifique de cette architecture parfois qualifiée de cubiste, a été couverte pour créer un jardin d’hiver.

 

Gaston Brunfaut est à l’origine de nombreux logements sociaux et habitations bruxelloises. Avec son frère Fernand (1886-1972) et son neveu Maxime (1909-2003), il forme un clan d’architectes socialistes convaincus, défenseurs de grands programmes urbanistiques, concepteurs de cités-jardins, de Maisons du peuple, de piscines, de stations de métro.