Le Carnet du collectionneur Le Carnet du collectionneur

Lebaudy, fantasque empereur du Sahara

Empereur autoproclamé du… Sahara,
Jacques Lebaudy était un fils à papa illuminé mais aussi un fin stratège de la bourse.
De nombreuses cartes postales lui ont été consacrées.

Jacques Lebaudy (1868-1919) est le fils de l’industriel français Jules Lebaudy (1828-1892), magnat des sucres du même nom. Il fonda en 1903 l’empire du Sahara, royaume imaginaire reconnu par lui seul. C’est grâce à un fort bel héritage et à cet argent gagné grâce à ses coups en bourse qu’il pourra accomplir son fantasme : posséder un territoire et en devenir empereur... En réalité, il décide de fonder un État en la terre déserte du Sahara pour pouvoir y exploiter de riches ressources minières de phosphate. Ce n’est donc pas sur un coup de tête qu’il part là-bas à bord de sa goélette personnelle, la Frasquita, comme on peut le lire parfois sur des notes biographiques. Mais il ne connait manifestement rien de la situation politique sur place, ni sur des aspects pratiques d’une « colonisation ».

Il s’arrête aux îles Canaries pour équiper son bateau de canons et recruter à gros prix une armée de huit hommes. Il part ensuite vers les côtes mauritaniennes. Il débarque le 25 mai 1903 dans une baie déserte (28° 40’ Nord), nommée Bay of Justice, où il rencontre simplement deux Sahariens avec qui il s’entend bien, et fonde solennellement l’Empire du Sahara. Deux jours plus tard, il se proclame Empereur Jacques Ier et ordonne à ses employ-és de l’appeler « Sire ». Il se dote aussi d’un drapeau, d’une capitale et décide même d’émettre un timbre que les philatélistes, déjà actifs à l’époque, chercheront éperdument, tel le trésor des Incas, mais à ce jour aucun exemplaire n’a jamais été découvert.

 

La moitié de l’armée « impériale » sera rapidement faite prisonnière par des tribus maures et Lebaudy s’enfuira piteusement aux Canaries en refusant de payer la rançon réclamée par les ravisseurs. L’affaire va vraiment se gâter quand le gouvernement français découvrira que cinq ressortissants français faisaient partie de cette lamentable expédition et qu’ils étaient vendus com-me esclaves sur les marchés sud-marocains. L’Espagne et l’Angleterre vont aussi s’émouvoir officiellement des troubles causés par Lebaudy dans une région où les conflits de souveraineté restent importants.

 

C’est donc par ce scandale loufoque et ridicule que la pression fut mise sur le gouvernement français pour trouver une solution – financièrement coûteuse – pour exfiltrer nos malheureux ressortissants. Lebaudy s’exilera ensuite avec son épouse aux Etats-Unis où, par ses frasques et coups de folie, il donnera bien du fil à retordre aux autorités. Il n’acceptera pas la séparation décidée par son épouse qui... abattra finalement son mari dans leur maison, en 1919. A sa mort, le combat pour son héritage se transformera en une saga épique.

 

Les cartes

L’empereur Jacques 1er a donné naissance à de nombreuses caricatures et il sera aussi évoqué lors des cortèges carnavalesques. Chose amusante, Lebaudy était très discret et il n’existe quasi aucune photographie de lui.

 

Comme souvent en cartophilie, le collectionneur devra donc être attentif car ce trop célèbre épisode saharien tragi-comique est parfois évoqué implicitement sur les cartes. Par exemple, il faudra un œil attentif pour repérer Jacques Lebaudy dans la magnifique carte publicitaire de la li--queur Menthe-Pastille illustrée par Ogé. Sur cette carte, on reconnait plus facilement Léopold II contemplant un portrait de Cléo de Mérode.

 

Chaque carte vaut son pesant d’or et on découvre des trésors iconographiques pleins de symboles. On y trouve les chameaux, l’autruche, l’oie (Lebaudy la chevauchant), Napoléon et bien sûr le « pain de sucre marocain » (en forme de conifère) dont il est souvent coiffé et il est aussi souvent représenté comme un ga--min.

 

Si on cherche Lebaudy sur les sites de vente aux en--chères, on trouvera beaucoup de cartes avec les en--treprises sucrières, mais aussi un dirigeable éponyme dans lequel les caricaturistes le placeront à l’occasion pour sa conquête. Plus rarement, on trouvera les manifestations carnavalesques évoquant l’intronisation de Jacques 1er ainsi que des cartes humoristiques et satiriques.

 

Lebaudy se retrouve aussi dans certaines séries avec les grands souverains de l’époque... beau pied de nez aux grands de ce monde ! Philippe Di Falco, auteur d’une récente biographie, précise qu’il n’existe au--cune photo connue de lui (sauf une à la fin de sa vie aux Etats-Unis). Même sans photo, les différentes caricatures sont fort semblables. Donc mystère, sauf si les dessinateurs ont caricaturé notre empereur sur base des croquis publiés dans la presse. Les cartes datent toutes de 1903 et ont donc toutes le côté adresse non divisé.

 

Il s’agit d’un véritable feu d’artifice de cartes caricaturales illustrées par au moins une vingtaine d’artistes : Bobb, Coulon (série de 5 cartes), Fernel (5 cartes), Geo, Ch. Laborde, Lewis, LK, Moriss, Norwins, Ogé, Orens (Burin Satirique 19 et 34), Reyme, Tantot, Raoul Thomen, Léon Roze et de nombreux anonymes. Plus cocasse : Lebaudy a même eu droit à une carte système avec ses jambes qui bougent devant un Maure qui lui lèche les pieds. Pour un empereur, c’était vraiment la moindre des choses...

 

Manneken-Pis Club

L’article sur Jacques Lebaudy publié dans ces pages est signé par Xavier Languy, le président actuel du Manneken-Pis Club, club de collectionneurs de cartes postales qui, comme son nom l’indique, est bruxellois. Le Manneken-Pis est son symbole mais l’objet du club est bien de rassembler les collectionneurs de cartes postales de tout bord. Que ce soit la collection de cartes topographiques bruxelloises, belges ou d’autres pays mais aussi tout ce qui concernent l’illustration.

 

Fondé en 1981 par René de Vuyst, le club rassemble 250 membres et publie une revue trimestrielle de 28 pages très prisées dans les milieux cartophiles. Le club s’attache à étudier des sujets originaux non couverts par la littérature, spécialement les imprimeurs, les maisons d’édition et bien sûr les illustrateurs de cartes postales. De nombreux livres ont été publiés par les membres. Par exemple sur Schaerbeek, Uccle, Ixelles, Léopold II, Edouard Nels… voir les chromos.

 

En plus de la grande bourse européenne annuelle du Poséidon, les réunions d’échange se font quatre fois l’an au centre civique du Kapelleveld à Woluwe-St-Lambert. Les prochaines réunions sont fixées aux dimanches 24 septembre et 26 novembre 2017, de 8 à 12 h. N’hésitez pas à effectuer une visite au centre civique, d’autant que l’entrée vous sera offerte en montrant ce Carnet que vous tenez en main.

 

Contact : manneken.pis.club@gmail.com et 0475/603603.